Bref message à mon papa qui aurait eu 100 ans aux cerises
par Marc Vidal.
Tu t’es engagé en 1938 dans l’Armée d’Afrique, il y avait de meilleures dates pour faire carrière, mais enfin bon.
Tu as échappé au massacre des camarades en 1940 parce que tu encadrais les jeunes recrues en Algérie.
Tu as débarqué en Provence, au Cap Nègre, première fois que tu mettais les les pieds en métropole.
Tu t’es farci la campagne de France, l’Alsace. Tes potes zouaves et tes copains d’école primaire sont morts à Ronchamps.
Tu as libéré la France et ce ne fut pas de la tarte.
Tu as envahi l’Allemagne.
Là-bas tu as été sûr que tu allais mourir, aplati dans un caniveau sous un tir de MG 42.
Tu as épousé notre mère, presque un «mariage de guerre», plein d’amour jusqu’au bout.
Votre cadeau de mariage, c’était un bon pour des casseroles en alu, un luxe en 1947.
Tu as occupé l’Allemagne et tu t’y es fait des amis allemands dont les enfants sont toujours les nôtres.
Tu as combattu les nationalistes communistes en Indochine pendant des années (deux séjours, une bricole), tu as gagné ta Médaille Militaire en dégageant un convoi avec une Thomson 1942 récupérée sur un Viet. Tu as (un peu) attrapé le «mal jaune», ce qui m’a donné le goût de la cuisine asiatique.
Tu es retourné t’installer chez toi en Algérie en 1959.
On est tous repartis en 1962 parce que se faire égorger n’est pas un «projet d’avenir».
Vous nous avez élevés, mes frères et moi, dans un esprit que les cuistres appellent aujourd’hui «des valeurs traditionnelles».
Eh ben je te le donne en mille : pour ton centenaire on verra le drapeau FLN (l’officiel !) le 14 juillet sur les Champs-Élysées et même le drapeau Viet-Minh en prime. Et encore, il faut aussi présenter des excuses aux assassins pour qu’ils daignent venir.
Si tu avais été encore là, on serait allés ensemble gueuler sur les Champs et se faire coffrer par les flics qu’en bon militaire tu n’as jamais pu blairer. Je t’aurais bien vu entre deux pandores avec toutes tes médailles pendantes, un clic et c’était le beuze mondial.
Mais t’inquiète, on gère.
Librairie les Oies Sauvages
Marc Vidal
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