Les meilleures pages de Céline sur l’immigration
par Nicolas Bonnal.
Charles Martel n’avait rien vu !
À l’heure où plus personne ou presque ne vit dans son pays (300 000 Français à Londres, 100 000 à New York, 70 000 à L.A., 50 000 à Barcelone, 25 000 à Miami, etc.), à l’heure où tout le monde riche ou pauvre se délocalise, je crois qu’il est un peu tard pour se plaindre de l’immigration : voyez d’ailleurs nos amis marocains qui se plaignent dans le sud de leur beau pays de l’invasion des Français qui ont fait décupler le prix de l’immobilier à Marrakech, et, au nord du même pays, de l’omniprésence des jeunes Espagnols venus y chercher du travail. 80 % des diplômés des grandes écoles commencent à l’étranger leur carrière. On va tenter sa chance ailleurs. Nous sommes tous des immigrés.
Seuls les gens qui exagèrent ont raison.
Je trouve pas ça un divin délice que l’Europe devienne toute noire.
Je ne ferai donc aucun commentaire ni aucune introduction, surtout sur un sujet qui est susceptible de réveiller « les pires replis de l’âme humaine, les pires heures de notre histoire, les pires réflexes de l’électeur », et surtout ses plus incorrects éclats de rire. Je donnerai juste à lire les traits les plus géniaux de l’immortel auteur du Voyage. Bonne lecture, et bon rire surtout, car la littérature catastrophiste est – ou devrait être – un genre comique : « Ils s’envolent du Kamchatka… Ils jaillissent de Sibérie… Des tréfonds bessarabiens, des bords de la Chine, des bourbes d’Ukraine, des Insulindes, de tous les égoûts d’Amérique… Ils dévalent, ils comblent… Charles Martel n’avait rien vu !… ça sera une telle bousculade, une ruée tellement farouche vers tous les nougats que ça sera des écrasements de terre dans les frontières où ils passeront » (Bagatelles).
L’immigration a eu ses saints et tous ses encenseurs et puis ses protecteurs. Céline le savait. On se souvient de cette extraordinaire description de cet instit’ franc-mac’, gardien benêt du grand couloir humanitaire, qui nous vient des Beaux draps : « C’est l’abnégation en personne… Excellent tout dévoué papa, pourtant il prive presque ses enfants pour jamais refuser aux collectes… Secours de ci… au Secours de là… que ça n’en finit vraiment pas… À chaque collecte on le tape… Il est bonnard à tous les coups… Tout son petit argent de poche y passe… Il fume plus depuis quinze ans… Il attend pas que les autres se fendent… Ah ! pardon ! pas lui !… Au sacrifice toujours premier !… C’est pour les héros de la mer Jaune… pour les bridés du Kamtchatka… les bouleversés de la Louisiane… les encampés de la Calédonie… les mutins mormons d’Hanoï… les arménites radicaux de Smyrne… les empalés coptes de Boston… les Polichinelles caves d’Ostende… n’importe où pourvu que ça souffre ! Y a toujours des persécutés qui se font sacrifier quelque part sur cette Boue ronde, il attend que ça pour saigner mon brave ami dans son cœur d’or… Il peut plus donner ? Il se démanche ! Il emmerde le Ciel et la Terre pour qu’on extraie son prisonnier, un coolie vert dynamiteur qu’est le bas martyr des nippons… »
Au Mexique comme ailleurs ! Après on a bien sûr le morceau de maître. Commentant la Phèdre de Racine, André Gide disait qu’on ne trouverait en nulle langue une telle suite de vers. Face à ces lignes aussi on reste coi (ou bien tordu !) : « Vous serez racornis, tamisés à zéro. Vous serez éteints, vaporisés. Ils sont encore des millions d’autres, et puis encore des millions d’autres, et puis encore des millions, d’absolument pareils aux mêmes, et vous les oubliez toujours, dans vos lyrismes avariés, vos confuseries pérotantes, là-bas tassés qui se consument… des rats frémissants, peladés, pestilents, chassieux, réprouvés, persécutés, nécrophages, martyrs démocrates, qui se rongent de mille envies dans les tréfonds bessarabiens, indoustagènes, kirgizaniques. Pensez !… Pensez toujours à eux ! Ils pensent toujours, toujours à vous ! Toutes les vallées ouraliennes, budipestiques, tartariotes, verminent, regorgent littéralement de ces foisons d’opprimés ! Et que ça demande qu’à foncer, déferler irrésistibles, à torrents furieux, renverser les digues, les mots, les prévenances, votre fol bocage ! et vous l’oiseau cuicuiteur ! noyer tout ! Tous les souks, tous les brousbirs, tous les khans, toutes les kasbahs, tous les sanhédrins, tous les caravansérails, tous les Comitern de tous les deltas empuants de toutes les véroleries du monde déverseront d’un seul coup toute leur ravagerie truande, toute l’avalanche démocratique de leurs mécréants en famines depuis 50 siècles sur vos os ! »
L’énumération, les figures d’accumulation, la ponctuation, les paronomases, les répétitions, la syntaxe, l’usage des indéfinis, tout est génial. Il y a plus de style dans une page de Céline que dans toute la rentrée littéraire. Quel dommage que l’on n’étudie pas cette prose dans notre école républicaine ! Le cours de grammaire se terminerait dans une prison pas moins républicaine qui permettrait aux enfants de découvrir un nouveau monde bien fleuri !
Encore une louche et on arrête : c’est la vision de l’école des cadavres, où d’ailleurs Céline s’en prend comme à son habitude surtout aux Européens (c’est son vieux syndrome hitlérien, si j’ose dire, qui ne l’honore pas sur le fond – mais sur la forme…) : « Ce sera enfin la bonne vie de Touraine en Côte d’Azur pour toutes les hordes persécutées. Depuis des siècles qu’on leur promet ! Grouilleries afro-asiates, proches-orientales, furioso-démocrates, égalitaristes, justicières, revendicatrices, super-humaines, soviétigènes, tout ça joliment francophage, radiné en trombes à la trompette juive ! la racaille arméno-croate, bourbijiane, valacoïde, arménioque, roumélianesque ! »
On se plaint de notre manque de réaction parfois. Mais Céline avait aussi prévu le coup.
C’est que les conséquences ne se font pas attendre, et qu’il ne faut surtout pas chercher à résister : de Bagatelles, encore : « Vous serez soufflé, volatilisé dans les atmosphères, tellement vous provoquerez, violente, leur indignation. »
« Qui peut se dresser contre cette meute ? » demande encore Céline.
La France ruinée par l’Europe et par les socialistes va se mettre à courir comme ses immigrés. On va se mettre à courir avec eux. L’immigration à dix chiffres (soit un milliard pour commencer) à l’échelle globale et ronde, c’est la danse de Saint-Guy de la Fin de l’Histoire, celle-là même qu’avait prévu Hamlet (The time is out of joint)… Les hommes tourneront en rond de ville en ville, car il n’y aura plus de pays, et la terre plus vite qu’eux.
Tout ça roule, roule tout venin, tiédasse, dépasse pas 39°, c’est un malheur pire que tout, l’enfer médiocre, l’enfer sans flamme.
Francephi - Editions Dualpha, Déterna, l'Aencre et autres livres en diffusion