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Staline, la salle de bains et la fin de l’Histoire

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Staline, la salle de bains et la fin de l’Histoire

Par Nicolas Bonnal.

En 1945, les écrivains fascisants et collaborateurs Rebatet et Cousteau (le frère du commandant) sont condamnés à mort ; mais leur peine est généreusement commuée en détention à vie et, dans une prison et un confort très acceptables, ils se livrent à leurs Dialogues de vaincus (facilement téléchargeables), déballage de propos conviviaux et post-historiques, d’un ton provocateur et humoristique, mais qui ne les empêche pas de se rapprocher des positions prosaïques et philosophiques d’Alexandre Kojève, que j’ai maintes fois évoqué ici. Détachés de leur folie, ils se montrent lucides.

La fin de l’histoire à l’américaine, c’est d’abord l’oubli de l’idéologie et la victoire du confort matériel (comme dira Kojève : les Russes ou les Chinois communistes ne sont que des Américains pauvres) : « Nous préférons, en fin de compte, l’hypothèse de la victoire américaine, parce que c’est la victoire de la salle de bains. Je sais qu’une hégémonie américaine, sur le plan matériel, sera confortable, mais je sais que sur tous les autres plans, elle ne me dégoûtera pas moins que le marxisme universel. Je regarde le duel Amérique-Russie avec détachement. C’est d’ailleurs assez agréable de n’avoir plus à s’agiter, à s’émouvoir pour l’issue de la bataille en cours. Et je constate que les Américains ont l’air de se réveiller. »

On est en pleine guerre froide et nos deux auteurs prévoient la victoire occidentale ; ils applaudissent ironiquement la guerre de Corée menée par Truman et ils admirent enfin la méthode américaine : « Mais lorsque leurs généraux ou leurs politiciens traitent les grandes affaires sur des bases identiques, alors, c’est autrement moins idiot que les routines d’école de nos têtes cerclées ou le déconnage de nos ministres. Les Américains lancent une guerre comme une pâte dentifrice et administrent leurs forces armées comme les usines Ford. »

Vient la provocation, qui évidemment va concerner Staline qui passe du statut de l’oncle Joe à celui du terrible tartare. Mais il en faut plus pour effaroucher les deux anciens mussoliniens, toujours à la recherche d’un despote à admirer : « Nous ne disons pas que Staline est bon, qu’il est tendre, qu’il est beau, qu’il est humain, qu’il est artiste, qu’il est modeste, qu’il a inventé le fil à couper le beurre et le calcul différentiel, mais nous disons qu’il est génial. Nous le disons sans rire. »

La propagande antistalinienne n’innove guère. On s’est contenté de reprendre la propagande anti-hitlérienne que l’on a appliquée ces jours-ci à Assad ou Kadhafi lors du printemps dit arabe (qui était plutôt un printemps Facebook, BHL ou ONG) : « Quant aux bourgeois d’Occident, ils sont condamnés, de plus en plus, au conformisme antistalinien, qui se substitue si comiquement au conformisme antihitlérien… Maintenant, c’est Joseph qui sert de cible, mais ni le vocabulaire ni la technique n’ont changé. Peu importe, d’ailleurs. Les destins des bourgeois d’Occident finiront bien par s’accomplir. »

Comme on sait, le communisme n’a pas eu la vie très dure, tout le monde préférant au final, maoïstes et arabes compris, la « salle de bains américaine » et les chaînes sportives. Ce qui se passe par contre, c’est l’immigration à grande échelle. Et cela, nos deux horribles compères l’avaient aussi prévu en utilisant d’un terme ignoble et répréhensible que la conscience universelle aux aguets ne dénoncera jamais assez (le terme, pas l’immigration) : « La négrification de la planète ne pourrait plus que nous divertir. Nous n’avons plus de maison, nous n’avons plus de ville, nous n’avons plus de patrie, nous n’avons plus de race. Mieux encore : nous n’avons plus de contemporains. »

Il y aura trois milliards d’Africains en 2100 contre 400 millions d’Européens (si l’on peut dire). Du reste, cela importe peu : à l’époque du Google baby, on peut même dire que les survivants que nous sommes maintenant n’auront plus de semblables !

Ensuite, le dialogue évolue un peu à la Audiard, décrivant une vie grise et moderne dont on ne soulignera jamais assez la médiocrité depuis Flaubert (pensez aussi à de Man, Céline, Henri Lefèvre, Guy Debord, etc.) ; on n’est pas plus mal en prison qu’à l’usine ou dans sa cité : « Mais j’ai acquis assez de sagesse pour savoir que la liberté n’est pas un bonheur en soi, que c’est un risque. Il y a, dehors, des millions et des millions d’hommes qui sont nominalement libres mais dont l’esclavage est incomparablement plus pesant que le nôtre et avec qui je ne troquerais mon destin sous aucun prétexte. J’aime autant être ici que d’être le libre employé d’une compagnie d’assurances ou le libre manœuvre des usines Citroën, ou un libre valet de ferme, ou de vivre librement dans une caserne prolétarienne ou d’être astreint aux loisirs librement dirigés de la démocratie. »

Nous sommes moins à plaindre aujourd’hui ; ici, on est encore au milieu du siècle passé, époque où l’on nous envoie encore nous faire tuer pour les grandes idées, les colonies ou la Pologne. Cousteau ne se fait pas faute de le rappeler : « Mais dehors, les libres citoyens sont brimés par la flicaille, rançonnés par le fisc, soumis à la conscription, mobilisés à la moindre alerte, jetés dans des guerres pour lesquelles nul ne les a consultés et condamnés, selon les cas, à mort, à l’infirmité temporaire ou à vie, à cinq ans de tranchées ou à cinq ans de stalag. Je ne m’indigne pas. C’est ça, la société. Ici comme ailleurs, la société est quelque chose qui emmerde les individus et c’est à l’individu de se débrouiller pour accéder à un échelon où il reçoive le moins possible d’éclaboussures. »

En résumé, la montagne ou le salar d’Uyuni.

Enfin, la conclusion, du Kojève pur sucre, ou du Fukuyama : « Ça se terminera peut-être très bien, par l’établissement sur cette planète d’une sorte de Pax americana, à base de Coca-Cola, de bulletins de vote et de télévision. »

Et bien ! c’est fait. Et ne nous plaignons pas. En plus, nous avons internet et surtout archive.org pour échapper à la télévision…

Francephi - Editions Dualpha, Déterna, l'Aencre et autres livres en diffusion


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