Des bienfaits du livre en période de chaleur
Marc Vidal
(Éditorial du catalogue n°105 de la librairie Les Oies Sauvages)
Soyons clairs, le livre est l’un des meilleurs remèdes en période de grande chaleur.
Il n’y a pas que le choix de l’endroit frais. Premier avantage, la lecture impose de ne pas bouger, ce qui évite des sudations ruisselantes, même par une température de four à pain. La lecture est l’inverse de l’agitation, mère de tous les désordres, de la déshydratation, de la frénésie sociale, de la philanthropie et autres calamités.
Il y a évidemment le cas du bon bouquin dégusté sur une chaise longue sous les feuillages si on habite à la campagne, entre deux courants d’air et un caca de mésange sur la tête. Ou se mettre les deux pieds dans la mare aux canards en dégustant du Marcel Aymé (sauf si les canards viennent vous picorer les arpions, ce qui n’est pas agréable, sans compter les sangsues et autres larves intrusives). On peut aussi se réfugier dans sa cave avec un Blondin ou dans une grotte avec les mémoires de Norbert Casteret et une citronnade bien fraîche (je dis citronnade, mais c’est juste une suggestion). En zone urbaine, on peut s’installer dans une galerie marchande climatisée pour lire une bonne revue, en regardant sa montre de temps en temps pour tromper le vigile de service (si le sbire s’approche, sortir son portable en disant à voix bien haute « Allô chérie ? t’es encore coincée boulevard Bardamu ? ne t’inquiètes pas, je t’attend. »).
Les magasins de surgelés seraient une solution idéale, mais il n’y a pas de quoi s’assoir et la lecture des notices des sachets de crevettes du Zimbabwe risque d’être fastidieuse et peu enrichissante intellectuellement. On peut s’amuser à corriger les fautes d’orthographe (« mettre les creves dans un pote et au froidigaire pour decongeled »), c’est exotique mais limité. Et puis l’exotique ça donne chaud.
La baignoire pleine autorise également la lecture sans risque d’hyperthermie, moyennant quelques précautions, compte tenu des risques d’immersion : privilégier les collections de poche et pas l’édition de 1798 des voyages de Cook, éviter le canard de bain qui peut vous déconcentrer au passage du Cap Horn).
Il y a aussi les maisons de retraite et autres clubs du troisième âge mais pas moyen de lire
tranquille, il y a toujours un importun qui vous demande toutes les dix minutes si tout va bien et si on veut du jus d’orange (sans vodka !), et puis il faut des heures de maquillage pour se faire passer pour un vieux authentique, maquillage qui tient chaud en plus.
Sur le fond, les récits de voyages polaires et de chasse à l’ours blanc, les romans de London sur les chercheurs d’or au Klondike, les ouvrages ethnologiques sur les Inuits, Palais de Glace de Tarjei Vesaas, procurent inconsciemment une sensation de fraîcheur digne d’un carillon chinois.
Pour les Parisiens, il y a une option intéressante : s’inscrire à la visite des Catacombes, se faufiler discrètement entre deux monticules de fémurs. On se retrouve dans une salle fraîche en bonne compagnie d’autres infortunés lecteurs qui vivent dans des chambres de bonnes façon cocotteminute (prévoir une lampe de poche chargée), température garantie et silence de tombeau. Ne pas louper la fermeture du site sous peine de relire deux fois de suite Vingt ans sous terre ou la vie d’un croque-mort.
Solution extrême : s’inscrire pour une croisière dans l’Antarctique. Mais les cabines sont climatisées et la doudoune est de rigueur. La lecture d’un vieux récit de baleinier est un bon antidote au gnangnan écolo ambiant, mais le résultat thermique reste limité.
Revenons au deux-pièces sous les toits à Épinal, tellement chaud que s’exiler à Saint-Pierre et Miquelon devient un projet envisageable. Dans ce cas, il y a la cuvette en plastique qu’on trouve chez le soldeur chinois (le nouveau, le proprio barbu d’avant a disparu avec tous les Butagaz et les couscoussiers). Remplir avec de l’eau froide, s’installer dans le fauteuil, les panards dans la fraiche, et déguster un récit de pêche à la morue. On peut s’éventer avec un hareng un peu avancé, comme le conseillait le regretté Reiser, impression de bord de mer.
Mais de tout ceci ressort une constatation : il n’y a que le lieu qui pose problème, la lecture reste la seule occupation possible en période de grande chaleur.
Oui, bon, en hiver aussi, devant la cheminée, avec un petit armagnac cognac calva cordial.
En période de grande chaleur, lisez, et si on vous dit qu’il faut quand même bosser, répondez que quand il fait trop chaud, on pense moins vite, on n’est pas compétitif.
LIBRAIRIE LES OIES SAUVAGES – Marc Vidal
5 avenue du Parc
77340 Pontault-Combault
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